Contrat : la Ligue des Justiciers [PV Trueman]

Encore une fois, je repassai mentalement les ordres de mission qui m’avaient été donnés par Kurtzmann quelques jours plus tôt. J’étais désormais employée reconnue de la Flander’s Company et j’avais reçu mon premier gros contrat. Rien qu’à cette pensée, ma gorge se serra d’appréhension et je déglutis avec difficulté. Les clients n’étaient autres que –pardonnez-moi du peu- les membres de la Ligue des Justiciers en personne. Soit sept des plus grands héros que le monde des supers ait jamais connu. Et moi, j’allai devoir les affronter ... pour divertir les vieux de leur maison de retraite ! La tension qui m’habitait retombait légèrement lorsque je me répétai que tous faisaient partie d’une vieille génération et que je pourrai compter sur les aléas de l’âge pour me tirer d’affaire si jamais ça tournait au vinaigre.
Jetant un œil à l’horloge suspendue au-dessus de la porte de ma chambre, je réalisai que les heures fuyaient vite et qu’il était grand temps que je me prépare. Ouvrant mon armoire, je détaillai mes affaires et piochait dans mes vêtements. Repensant aux futurs spectateurs de mon affrontement avec la Ligue, j’optai pour des habits plus que clichés : noirs, relativement moulants, pantalon de cuir, New Rocks, mitaines courtes et brassards de résille. Tirant une lourde boîte à bijoux, j’attrapai quelques chaînes, un imposant ceinturon d’argent, une boucle d’oreille ornée d’un pentacle, un tour de cou en cuir –sans croix, il y a des limites à tout. Je m’habillai en silence, suffisamment nerveuse pour m’abstenir d’émettre le moindre son. Une fois prête, je me regardai dans le miroir. Je pus ainsi voir la moue sceptique qui passa sur mon visage lorsque je contemplai le parfait cliché de la jeune ado gothique en lequel je m’étais changée. Ne manquait plus qu’un peu de noir autour des yeux ... En soupirant, je me dirigeai vers la salle de bain et ajoutai la touche de maquillage manquant à ma panoplie. A nouveau, mue par un narcissisme tout naturel, je me dévisageai dans la glace. Je m’arrangeai un peu, me disant qu’il fallait au moins que je sois un minimum présentable ; j’évitai de penser aux remarques que notre DRH bien-aimé allait forcément m’adresser. C’était pas vraiment le bon jour pour m’allumer avec lui ... surtout quand le patron attendait autant de ce contrat. Trueman ... Gah. De tous mes points faibles, c’était peut-être le plus flagrant. J’aurai tout fait pour cet homme et plus encore. Quelques choses de chaud coula le long de mon menton : je me rendis compte avec stupeur et désespoir que je bavais gentiment en pensant à notre PDG. Plus ridicule que moi en ce moment, c’était pas possible. Je m’essuyai d’un coup rageur, retournai dans l’autre pièce, attrapait ma faux et de quoi l’entretenir avant de sortir des vestiaires de l’entreprise en claquant la porte.
Je ne croisai personne dans les couloirs ou dans le hall. Tant mieux : plus j’avançai vers la sortie, plus mes nerfs étaient mis à rude épreuve. Je me savais assez puissante pour tenir tête à pas mal de héros, mais ces sept là en même temps ... Mon assurance s’en allait doucement. J’avais une furieuse envie de me mettre des claques. Flancher maintenant signifiait plus ou moins que j’allai y rester ou foirer ce contrat, et ça, c’était la dernière chose que je voulais, aussi bien pour ma fierté que pour les beaux yeux d’Armand Trueman. Pour éviter de me faire virer par Hippolyte aussi ... La tête rentrée dans les épaules, je me forçai à retrouver mon calme. Cela ne m’empêcha pas de pousser les grandes portes vitrées de l’entrée en grinçant des dents. Pas de voiture pour emmener les supers à leur lieu de « travail » : à la Flander’s, chacun se débrouillait comme il pouvait pour remplir ses contrats en temps et en heure. Je hélai un taxi et m’y engouffrait.
- Ma p'tite dame, vous allez où ?
- La maison de repos « les Gentilles Primevères ».
- Ah, z’allez voir vot’ mamy ou z’allez donner un spectacle ?
Un sourire carnassier étira mes lèvres, toute tension momentanément envolée.
- Ouais, si on veut ...
Heureusement pour lui, il ne chercha pas à en savoir plus, pas plus qu’il ne posa de question sur mon arme rougeoyante posée à côté de moi.

La maison de repos des Gentilles Primevères était un petit établissement perdu dans les banlieues cossues aux allures bâtardes d’hôpital et de complexe hôtelier. Une vaste pelouse l’entourait, et je constatai qu’on avait disposé ça et là quelques chaises longues où se trouvaient installés quelques retraités trépignant d’impatience. J’inspirai un grand coup et bombait le torse. Ils voulaient du grand spectacle ? Ils n’allaient pas être déçus ! Ma faux sur les épaules, j’avisai une petite foule rassemblée autour de gens grands ... très grands. Et aller, j’allai encore passer pour la naine de service ! Mon énervement passager laissa très vite place à une nervosité croissante au fur et à mesure que je m’approchai des héros. La Ligue des Justiciers première génération se tenait à quelques mètres de moi. L’un d’eux -J'onn J'onzz je crois- m’aperçut et se dirigea vers moi, suivit par ses charmants collègues. J’oscillai dangereusement entre le stress et une furieuse envie de rire. Je n’avais jamais réalisé à quel point certains d’entre eux devaient être vieux ... Ben croyez-moi, ça fait un choc ! J’étais beaucoup moins nerveuse, du coup. J’attendais les supers, impatiente de me lancer dans la bataille. Finalement, ça s’annonçait moins mal que je le croyais.